Les gastro-entérologues séduits par les plantes
Si la médecine officielle ignore encore la phytothérapie dans un cursus, quelques spécialités, comme la gastro-entérologie, s'intéressent de près à cette thérapie. Des médecins experts des pathologies du système digestif choisissent même de se former et de prescrire des plantes pour compléter ou remplacer l'allopathie.

C'est peu dire que les plantes sont amies depuis bien longtemps de la sphère digestive. Guimauve, angélique ou camomille romaine ont, par exemple, été traditionnellement utilisées pour apaiser les troubles gastriques. Mais aujourd'hui, le fait qu'elles soient au centre d'une journée de formation destinée à des médecins spécialistes du système digestif, voilà qui est nouveau.
«Découvrir les prescriptions en phytothérapie et l'univers du microbiote me passionne et me redynamise en tant que médecin alors que je suis presque en fin de carrière", s'enthousiasme Annick Zaleski-Benfredj, gastro-entérologue. Cette chirurgienne exerçant depuis quarante ans, à Paris, suit depuis peu ces formations courtes au sein du Club de réflexion des hépato-gastro-entérologues libéraux (CREGG). Voici deux ans que cette association professionnelle propose des initiations à l'usage des plantes médicinales. Annick Zaleski-Benfredj participe même à un groupe de travail de confrères, chargé de mettre en place, entre autres, une formation pratique initiale en phytothérapie. Une initiative qui répond à une demande: en 2017,la profession a mené une enquête auprès des hépato-gastroentérologues français sur leur utilisation des thérapies complémentaires. Les réponses de 138 d'entre eux montrent qu'ils sont moins d'un tiers à utiliser de la phytothérapie, mais 81 % souhaitent se former à l'usage des plantes médicinales. Un chiffre édifiant qui prouve l'intérêt de la profession.
Sous la pression des patients
S'intéresser à la phytothérapie, représente aussi pour eux une autre opportunité, celle de répondre à la pression des malades de plus en plus attirés par les thérapies alternatives.
Selon l'Association nationale de malades et proches pour vaincre la maladie de Crohn et la recto colite hémorragique (Afa), plus de la moitié des personnes souffrant de ces pathologies consultent un naturopathe en parallèle de leurs médecins traitants et parfois sans le lui dire. Une tendance qui fait réfléchir les praticiens : «Il
est donc temps que
ces thérapeutiques alternatives complémentaires
soient intégrées dans nos
conseils et prescriptions ", analyse le Dr Stéphane Ecuer qui, lui aussi, participe, aux journées du CREGG.
Pour ses prescriptions, Stéphane Ecuer peut aussi puiser dans les fiches de recommandations pratiques diffusées par le CREGG, depuis deux ans, via une lettre d'information professionnelle Plantes et Microbiote. Y sont détaillées les plantes utiles à la sphère digestive, comme la fumeterre, la «plante de la vésicule biliaire» et ses vertus hépatiques indiquées «en cas de troubles intestinaux chroniques d'origine biliaire comme certaines formes de constipation voire de diarrhées, de douleurs spasmodiques et d'autres symptômes en lien avec un trouble hépatobiliaire (maux de tête, asthénie)». y apparaît aussi la sauge antispasmodique, le romarin comme hépatoprotecteur.
C'est Jean-Christophe Letard, gastro-entérologue à Poitiers, qui a eu l'idée de ces fiches pratiques: «Je travaille en phytothérapie depuis vingt ans, j'ai passé un diplôme de conseiller en plantes médicinales. Je trouvais intéressant d'ouvrir une brèche dans notre spécialité donc j'ai développé une commission Thérapies complémentaires et une formation en phytothérapie pour les gastro-entérologues. Nous avons aussi le projet de regrouper et de créer des protocoles phyto et des probiotiques adaptés.»
Il explique à ses patients qui souffrent de reflux gastro-oesophagien, l'intérêt des
plantes: «Pour ceux qui sont dyspeptiques avec du reflux, prendre un antiacide chimique permet de réduire l'acidité et donc les reflux, mais moins d'acide, c'est aussi moins de digestion!
Donc quand on leur dit que c'est bien les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), mais que l'aloe vera, l'angélique et le lithothamne sont aussi efficaces et qu'ils expérimentent eux-mêmes leurs vertus, ils sont vite convaincus.» Une alternative bienvenue alors que même l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) rappelle que « leur utilisation au long cours n'est pas sans risque» .
Attention à l'automédication
Si certains gastro-entérologues allient allopathie et phytothérapie, c'est aussi parce qu'ils estiment que l'automédication a ses limites. D'aucuns dénoncent certains excès. «Les gens veulent être actifs sur leur santé, mais bien souvent ils mélangent différents produits parce qu'ils ont entendu parler de tel bienfait ou de telle vertu sans prendre conscience des interactions néfastes possibles avec leur traitement ou leur pathologie, analyse le Dr Zaleski - Benfredj. «Par exemple, les plantes à base d'anthraquinones, tels le séné ou l'aloès, améliorent dans un premier temps la constipation, mais, à la longue, peuvent causer une colite des laxatifs. Il est important que nous puissions délivrer une prescription adaptée et encadrer l'usage des plantes ou des probiotiques pour nos patients, sinon on peut arriver à une hypervitaminose ou à des associations délétères.» Accompagner les patients en toute sécurité tel est aussi
le credo de ces gastro-entérologues.
Et le CREGG va même plus loin et s'intéresse de près à la formulation des produits phytothérapeutiques mis sur le marché. Il a conclu
un partenariat avec le groupe Arkopharma, qui met à disposition ses experts pour former les gastro-entérologues à la botanique et à l'utilisation des plantes médicinales. Ces derniers participent à des groupes de réflexion avec le laboratoire: «Ces médecins portent
un regard
professionnel
sur nos
gammes. Ils nous font
des propositions
pour les compléter",
explique Pierre Bruel, directeur médical d'Arkopharma. « Nous échangeons sur
les galéniques les plus adaptées
aux besoins des
patients et
nos processus
d'innovation se nourrissent
de leurs
données. Dans
le cadre de ces
échanges, nous
sommes
dans le partage des connaissances
et non dans le placement
de produits» L'intérêt
étant tout de même pour le laboratoire d'avoir des informations de terrain pour sortir des produits.
Côté
médecin, Jean-Christophe Letard, qui participe à ces réflexions,
trouve là des moyens concrets de valider scientifiquement l'efficacité des plantes médicinales sur les pathologies digestives: « Nous avons
besoin
d'évaluer le bénéfice réel
de ces thérapies
complémentaires. Nous allons d'ailleurs axer des études cliniques sur les troubles digestifs fonctionnels, la perméabilité intestinale, les troubles de l'humeur, du sommeil, l'intolérance ou l'allergie alimentaire» Espérons que cette approche scientifique, doublée d'une démarche pédagogique et pratique, fasse plus d'émules dans les années à venir.
Se passer des médicaments antiacides
Environ 15 millions de Français consomment régulièrement des médicaments contre l'acidité gastrique, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). S'ils bloquent l'acidité de l'estomac, ils sont loin d'être dénués d'effets secondaires. Récemment, une étude publiée dans le British Medical Journal démontre que leur consommation à long terme augmente le risque de maladies cardio-vasculaires ou rénales. Certains gastro-entérologues, conscients du danger, comme Annick Zaleski-Benfredj, cherchent des alternatives:

L'orme rouge, protecteur gastrique
Le laboratoire Arkopharma a observé au microscope l'orme rouge, un arbuste d'Amérique du Nord. Sa poudre d'écorce était déjà connue des Amérindiens pour soigner les irritations du tube digestif.
Les études d'Arkopharma montrent que l'orme rouge est riche en mucilages, en polysaccharides et en fibres de lignine, intéressants en cas de reflux gastro- œsophagien. L'écorce, réduite en poudre et absorbée avec de l'eau, forme un pansement qui adhère à la muqueuse gastrique et apaise l'inflammation.
Grâce
à ses recherches, le laboratoire spécialisé en phytothérapie a mis au point une formule à base d'orme rouge.
Extrait de l'article de Caroline Pelé dans Plantes et Santé n°209 de février 2020